Roberto Martinez et UN NOUS répondent aux questionnaire de la Biennale de Lyon :
Dans
le projet collectif « UN NOUS », chaque
participant développe, dans sa pratique, un travail
personnel avec différents médiums et différents supports.
En équipe, il n’y a pas de techniques privilégiées,
ni la recherche d’un style UN NOUS.
Nous essayons de donner une forme aux questions sur
l’art traversées par le social, le politique,
l’en-commun. Nous nous interrogeons sur la présence,
le caractère accessible et la visibilité de l’art
dans et hors des lieux dédiés à l’exposition. Mais
au-delà des différents modes d’expression plastiques,
UN NOUS trouve son unité dans l’espace urbain avec un
art libre et public, sous la forme d’affichages
éphémères et anonymes. La rue est perçue comme un champ
d’expérimentation.
En participant à la Biennale à la fois dans les espaces
dédiés à l’art (la Sucrière et le MAC) mais aussi en
intervenant dans l’espace urbain de façon libre, mous
affirmons notre singularité et notre positionnement à la
fois à l’intérieur et en périphérie du monde de
l’art.
Est-il
question de forme dans votre travail ?
Oui,
pour l’installation à la sucrière, une question se
posait à nous. Pour évoquer la notion d’utopie
urbaine, avec des éléments de maquettes
d’architecture et des objets quotidiens, jouer sur la
notion d’échelle tant physique que psychologique.Nous
avons choisit de construire, un contenant sous la forme
d’un volume fermé (référant à une cellule
d’habitation) avec des ouvertures rectangulaires
(vitrées de couleurs primaires et secondaires référents
autant à Le Corbusier qu’à Mondrian).
Cette idée d’un volume « lisible » de loin
comme une cellule puis de plus près comme une sculpture et
enfin de près comme une proposition sonore, lumineuse à
différents points de vue sur une ville utopique. Une forme
donc pour résoudre la question du formel et du conceptuel.
Quel
lien entre éphémère et durée dans votre œuvre ?
Pour
nos interventions urbaines, collages, distribution de
tracts, nous choisissons des lieux qui n’ont rien
d’artistique mais qui nous semblent propice à la mise
en valeur de la proposition plastique. Pour les
collages : un grand mur en périphérie, des vitrines en
centre ville peuvent accueillir une grande composition
d’affiches comme une grande fresque, ou bien
seulement une ou deux affiches centrées et rendues ainsi
très lisible.
Nous devons rendre visible. Une distribution de tracts à la
sortie d'une bouche de métro, ou de grands magasins, c'est
aussi très visible. En ce qui concerne la nature de la
rencontre entre l'œuvre et un public potentiel non
spécialiste, cela ne nous semble pas très important qu'il y
ait identification d’une œuvre d'art. Il y a un
accident de parcours. Quelque chose qui n'était pas là, qui
n'a pas de raison d'être là. Mais il y a une forme. Quelque
chose d'identifiable, même si c’est davantage de
l'ordre du questionnement. Evidemment, la réponse
n’est pas donnée. Il y a seulement quelque chose qui
peut paraître inhabituel et qui, si on creuse un peu, peut
être perçue comme une forme artistique et non publicitaire
et le temps de « lecture » ne nous appartient
pas.
Toutes ces interventions sont vouées à être éphémères. Les
affiches peuvent être arrachées, recouvertes, les tracts
jetés… mais cela a existé par le regard et le
questionnement proposé même si la durée est courte. Cette
durée dépend autant de la stratégie (lieux choisies,
accessibilité, pour les collages) que de la répétition,
ainsi que part l’engagement et la conviction pour les
actions urbaines (distributions de tracts…)
Peut-on
échapper à l’institutionnalisation de
l’art (ce terme n’est-il pas déjà
l’expression d’une tautologie) ?
"Ne
pouvant empêcher que certaines choses se produisent, on
trouve la paix en fabriquant des étagères où on peut les
ranger."
Pier Paolo Pasolini
En
tant qu’artiste nous aimerions répondre oui et
notamment avec les allotopies (voir pièce-jointe). Si
l’on prend des exemples comme les interventions de
Beuys balayant la Place Karl Marx, Francis Alÿs,
la foie peu dépasser des montagnes
ou
- Algunas veces el hacer algo no lleva a
nada,
l’œuvre elle-même se passe de toute institution
seule sa médiation future ou son historicité
l’institutionnalise. Au risque de dénaturer
l’œuvre par l’institution, se confronte
la non « socialisation de l’artiste » sans
elle. Refuser l'instrumentalisation des arts par l'Etat,
cela consisterait à refuser de laisser l'œuvre
devenir un jouet d'animation culturelle, et une pièce dans
le jeu de la patrimonialisation du monde.
Rainer
Rochlitz explique que l’époque contemporaine tend à
institutionnaliser la « révolte » portée par les artistes
en faisant coexister subversion et subvention. Les
subventions accordées à la création, à l’échelle
municipale, régionale, nationale et internationale, se
présentent, comme l’équivalent des « acquis sociaux »
de l’après-guerre. Ainsi, il apparaît que notre
société contemporaine se doit de faire preuve, d’un
esprit d’ouverture, de compréhension et de tolérance
à l’égard de pratiques artistiques qui mettent en
exergue les aspects les plus contestables de la réalité
sociale. Il parle d’ «
une réhabilitation de la tradition dans le prolongement
de pratiques artistiques qui ne cherchaient qu’à les
détruire »
(1, Rainer ROCHLITZ,
Subversion et subvention. Art contemporain et
argumentation esthétique,
Gallimard, 1994, p. 194). Cette situation institutionnelle
limite les possibilités de l’art de se présenter
comme un espace d’expériences total, y compris dans
des institutions publiques, mais indépendamment de toute
allégeance aux « goûts officiels ». Cette prétention des
pouvoirs publics à accepter l’anticonformisme de
certains artistes, comporte le risque d’une
instrumentalisation passant par la neutralisation de toute
dimension subversive du fait de
l’institutionnalisation ?
Comment,
dans quel but, l’institution peut-elle gérer un art
dont la fonction à l’origine fut avant tout la
subversion des formes anciennes et des codes urbains ?
S’agit-il de produire une version édulcorée, de la
subversion originelle ? (...) S’agit-il en un mot
d’une entreprise de récupération ? ».
On
peut répondre que oui. Là réside toute la difficulté pour
nous artistes de suivre notre chemin transgressif et
résistant en se passant d’une économie proposée à
récupérer une plus value spectaculaire et qui souhaite un
retour sur investissement (qu’il soit financier,
d’image, de respectabilité,
d’intelligence…)
Dans
ce qui nous occupe on peut considérer trois acteurs :
Le premier est l’artiste : dans le champ de
l’art contemporain, son acte artistique est souvent
une transgression. Ensuite il y a les publics, variés
initiés, ou non-initiés. Vient ensuite l’institution,
qui elle, ouvre bien souvent ses portes à l’artiste
transgresseur autorisant ainsi la transgression.
L’attitude de ces trois acteurs aboutit alors
à
« la permissivité,
[définie par Nathalie Heinich comme]
l’autorisation des transgressions : en
l’occurrence, la transgression des frontières de
l’art, de la morale ou de la loi, autorisée par les
institutions artistiques».
Or, une transgression permise est-elle toujours une
transgression ? Comment l’artiste peut-il être
«dissensuel» quand c’est précisément ce que les
institutions lui demandent ? Il s’agit là du paradoxe
permissif qui
« consiste à rendre la transgression impossible en
l’intégrant dès qu’elle apparaît».
La transgression devient alors une nouvelle norme. Ainsi,
dans leur quête de transgression,
« les artistes ne cherchent pas davantage
d’autonomie, n’ont pas intérêt à plus de
liberté : ils chercheraient plutôt à rencontrer des
contraintes, à contrer des attentes, à toucher des limites
» (2,
Nathalie Heinich,
Le triple jeu de l’art
contemporain,
Editions de Minuit, 1998).
« Au
demeurant, il existe bel et bien des œuvres d'art qui
ne se résignent à rien, qui transmuent la mondialisation et
notre nouveau rapport à l'histoire en un objet de travail
et de critique. Des œuvres qui prennent à leur charge
le réseau Internet afin de le mettre au service de la cause
artistique, ici et maintenant, et d'un échange avec les
"autres" sphères artistiques. Des œuvres qui
disposent des relations sociales ordinaires pour mieux les
faire valoir. Des œuvres, enfin, qui contribuent à
dresser une analytique de la mondialisation ou des
œuvres qui résistent aux sollicitations de la World
culture (ainsi que l'explique l'article de l'anthropologue
Marc Augé, publié dans le catalogue de la Biennale de Lyon,
2000). » (3, Christian Ruby in, La "résistance" dans
les arts contemporains »).
Pour
notre part nous restons résolue à être présent à la fois au
centre et à la périphérie. Exposer dans une galerie, un
musée, un centre d’art, une Biennale, et en même
temps produire et faire circuler de façon allotopique hors
de ces lieux (en périphérie) d’autres propositions
plastiques.
« En quoi, tout compte fait, chaque œuvre
résiste constamment et effectivement à l'ordre qui la met
en place, mais silencieusement. Nous en avons un excellent
exemple dans les problèmes soulevés par l'art public,
puisque beaucoup d'œuvres sont placées dans les lieux
publics seulement à titre de décor (réification?), dans
l'univers de la rue qui est soumis à des rationalisations
extrêmes (efficacité, voitures, etc.). Et pourtant,
beaucoup d'entre elles (sans qu'il s'agisse de toutes)
résistent, font de leur côté de la politique, fabriquent de
l'hétérogène dans l'uniforme. » (ibid. 3)
Nous
aimons donc confronter l'art et l'esprit public, multiplier
les relations entre l'un et l'autre, élargir le champ
possible de leurs rencontres critiques. Nous interrogeons
sur la présence, l’accession et la visibilité de
l’art dans et hors les lieux dédiés à
l’exposition.
Un nous