La Xe Biennale d'art contemporain de Lyon (du 16 septembre au 3 janvier 2010) a été organisée en six mois, à la suite de la défection de la première commissaire pressentie, par le Franco-Chinois installé à San Francisco Hou Hanru. Elle se déploie sur plusieurs lieux, et jusque dans des banlieues comme Vénissieux, Décines-Carpieu ou Vaulx-en-Velin. Ce parti pris reflète l'intérêt que porte depuis longtemps Hou Hanru aux effets politiques de l'art. "Pourquoi l'art ?" A quoi peut-il servir, se demande-t-il, quand "tout est spectaculaire, tout est encadré par un carcan de consommation, de superficialité, de marché ou d'institution".
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La majorité des 70 artistes retenus est présentée dans un ancien entrepôt des bords de Saône, La Sucrière, excitante dès l'entrée : des oeuvres fortes de Shilpa Gupta, Adel Abdessemed, Lin Yilin et Takahiro Iwasaki donnent le ton. Deux artistes déjà connus, et deux découvertes, à l'image du reste de la Biennale, qui alterne vedettes et noms nouveaux, oeuvres vues ailleurs et productions spécifiques, depuis les stars du marché jusqu'à de nombreux collectifs d'artistes dont les interventions paraissent peu susceptibles d'être vendues. Voire des vedettes a priori invendables, comme le Roumain Dan Perjovschi, qui trace à la craie blanche sur un immense mur noir des réflexions et y dessine des personnages drolatiques inspirés par l'actualité tant artistique que politique, comme cette annonce signalant que "tous ceux qui ont acheté un fragment du mur de Berlin entre 1990 et 2009 sont aimablement priés de le rapporter pour la reconstruction du mur".
L'ironie et le rire ont ainsi leur place à Lyon. Le rire de Démocrite, celui de Yang Jiechang avec ses délicieuses têtes de mort en porcelaine blanche et bleue ou celui de Barry McGee qui met en scène une superposition de tagueurs, une juxtaposition de camionnettes posées sur le nez et un mannequin qui se tape la tête contre le mur. Le rire de la farce avec la vidéo Mes amis conduisent tous des Porsche, du collectif HeHe, où une Cayenne zigzague entre les pneus des taxis et les pieds des passants new-yorkais.
Un autre collectif, plus grave, qui a pour nom Société Réaliste, a pastiché la loterie organisée annuellement par le gouvernement américain pour obtenir une green card, un permis de travail permettant l'émigration aux Etats-Unis. Il s'agissait d'inverser le processus, pour permettre aux Américains de fuir vers l'Europe. Le projet a rapidement été débordé par un afflux de demandes, essentiellement venues d'Afrique, des candidats qui croyaient l'offre réelle.
Collectif toujours, plus informel, Un Nous (A. Gallego, J-M Gonzalez, R. Martinez, P. Pinon) renoue avec l'architecture utopique, sous forme de maquettes qui parfois subissent l'orage, et ajoutent aux murs des avertissements : "Le peuple manque", "Artistes, encore un effort".
Des efforts, on en réclamerait à certains artistes qui tombent dans le danger inhérent à la thématique politique : les bonnes actions, les bons sentiments et trop de techniques luxueuses pour en rendre compte. Suffit-il d'installer un ponton-plongeoir sur un plan d'eau lyonnais, à la plus grande joie des enfants, pour faire oeuvre, comme semble le croire le collectif néerlandais Bik Van Der Pol ? Passe encore la compilation du Colombien Carlos Motta demandant aux passants de douze villes d'Amérique latine leur avis sur la politique internationale. En revanche, il y a plus de prétention que de profondeur chez l'Autrichien Oliver Ressler, qui demande : "Qu'est-ce que la démocratie ?" à des citoyens d'Etats démocratiques. Avant de mêler art et politique, il est recommandé de lire Marx et Machiavel.
Et Sade ? Alan Bulfin a dû le pratiquer souvent pour proposer une vidéo à la limite du supportable, mais d'autant plus efficace qu'elle met en scène des enfants et qu'elle est tournée avec un téléphone portable, à l'image de ce qui se fait dans les cours de collège. Efficaces aussi l'armée de fantômes musiciens en uniformes de la garde royale indonésienne de Jompet Kuswidananto, le tsunami de dessins muraux de la Turque Ceren Oykut, les linoléums posés au sol et gravés de la Marocaine Latifa Echakhch, les photos prises à la tombée du jour à Karachi par le Pakistanais Bani Abidi.
"Les événements les plus importants sont ces petites choses qui arrivent dans la rue", disait l'artiste Fluxus George Brecht, mort en 2008 et dont les oeuvres dispersées dans les salles font office de fil rouge pour la visite. Son aphorisme pourrait résumer la meilleure part de cette Biennale.
Harry Bellet et Philippe Dagen (Lyon, envoyés spéciaux)